Marie Françoise BAUDOUIN DE JOUISSIEAUME
est la 4e arrière grand-mère de Martine
est la 4e arrière grand-mère de Martine
L'ÉCLATANT
L'An de grâce 1792,
port d'Haïti Saint-Domingue.
Sur le quai l'agitation
du départ était palpable, les senteurs de cerises-café, de tabac,
de cacao, et les ballots de fleurs d'indigotiers fleuraient bon les
caraïbes. Les hommes de bord hissaient des filets remplis de vivres,
de barriques d'eau douce, de tonneaux de rhum, et embarquaient les
malles et les derniers passagers. Sous un soleil radieux et flottant
sur une mer turquoise, il était là devant eux, imposant et
majestueux, battant pavillon français où la foule s'empressait
d'embarquer dans un brouhaha et une cohue de champ de foire.
L'ÉCLATANT,
vaisseau du Roy, de deuxième rang, trois-ponts, onze cents
tonneaux, les sabords ouverts à la bouche de soixante-quatre canons
de bronze, prêts à tirer à boulets rouges. Toutes voiles dehors,
il était sur le point de prendre la mer avec les vents et les
courants favorables. Il assurait la liaison et le ravitaillement de
la colonie entre le nouveau monde et Bordeaux, un voyage périlleux
de deux à trois mois. Dans cet enfer flottant, le premier pont
dégageait une odeur pestilentielle, de basse-cour, de bétail ;
il était infesté de rats et grouillait de vermine.
Les matelots aux pieds
nus grimpaient dans les cordages, les mousses lavaient le pont sous
les yeux des quartiers-maîtres, et les timoniers tenaient la barre
aux ordres du maître pilote. À fond de cale, le fret en vrac et les
animaux vivants étaient entassés entre les entraves, les chaînes,
et les fers de la geôle vidée de ses occupants, les nègres. Les
jeunes hommes les plus forts se ruaient sur les places inoccupées
des hamacs en jouant des coudes, et les plus faibles se contentaient
des lieux les plus humides. Les femmes et les enfants se regroupaient
dans les cabines libres en tenant fermement leurs baluchons, leur
bien le plus précieux.
Blottie dans les bras
de son père et de sa mère de dix-huit ans, Marie-Françoise Adèle
inconsciente des affres de la situation souriait à un macaque, posé
sur l'épaule d'un jeune mousse. Les inévitables adieux du départ
étaient poignants, douloureux et imminents. Sa jeune maman retenait
ses larmes pour ne pas l'inquiéter, et son père se voulait
rassurant.
Il accompagna sa famille
à la passerelle d'embarquement jusque sur le pont du navire, en se
frayant un passage parmi les passagers et membres d'équipage. Après
un long baiser à son épouse et une tendre caresse à la fillette,
il quitta le navire, les abandonnant seules à bord. Du quai, au
bastingage, il vit sa femme agiter son mouchoir en signe d'adieu, et
l'entendit crier : « Au revoir mon ami,
à demain mon ami ».
À Terrier Rouge,
paroisse des Fonds Blancs, la révolte grondait; en fuite, les nègres
marrons aux portes des cases et des plantations brûlaient
tout, en semant la mort et la désolation. Le père n'avait qu'un
seul but, soustraire sa femme et sa fille au danger des nouveaux
massacres. Les colons fuyaient devant les esclaves en marronnage,
abandonnant derrière eux, leurs carreaux de terre, biens,
animaux, et leurs habitations.
Marie-Françoise Adèle
et sa mère traversaient les mers, pour aller chercher sur le sol de
France, la vie sauve, la sécurité et l'asile auprès de la famille
inconnue de son père. Après des tempêtes épouvantables, la
maladie et la mort d'un grand nombre de passagers jetés par-dessus
bord pour toute sépulture, les côtes de France pointèrent à
l'horizon.
Le premier choc pour
Marie-Françoise Adèle fut le changement brutal de climat, elle ne
connaissait que la chaleur, le ciel bleu et la douceur des alizés.
La température avait brusquement chuté, le ciel était devenu gris
et le vent cinglant la gelait jusqu'aux os. Le pont du navire et les
voiles étaient recouverts de givre blanc, et les deux femmes
tremblaient malgré leur lainage.
Sa mère fut accueillie
avec cet empressement et ces démonstrations de joie et de dévouement
qui accompagnent ordinairement l’opulence, mais qui
malheureusement, en attirant la confiance, ne servent trop souvent
qu'à dissimuler les véritables sentiments de ceux qui n'attendent
que l'occasion favorable pour mettre à exécution leurs desseins
cachés.
Dans ce pays de France
étranger à la petite fille, où le froid et la pluie d'hiver
glaçaient l’intérieur des maisons, Marie-Françoise Adèle et sa
mère étaient devenues des exilées. Même au coin du feu, serrées
l'une contre l'autre, elles n'arrivaient pas à se réchauffer dans
ce froid pénétrant. Cette jeune maman portait en elle la
sensibilité et la franchise, caractère distinctif des colons, mais
n'était pas préparée à cette nouvelle vie de privations et de
labeur. Bébé nourri à la mamelle volumineuse de sa Mama
noire, petite fille dorlotée et choyée, entourée d'une multitude
de bonnes négresses aux ordres des maîtres, elle avait grandi dans
un monde qui déjà n’existait plus.
Quelque temps après
leur arrivée, un événement malheureux mit le comble à leurs
infortunes et vint les affliger. Elles apprirent la mort du chef de
famille, et la perte de leurs biens. Il avait succombé en défendant
ses foyers, dans cette partie de « l’isle » où furent
massacrés environ mille blancs .Cette perte cruelle fut le début de
nouveaux malheurs.
La grande jeunesse de sa
mère, son peu de défiance, son inexpérience en affaires, les
livrèrent à la discrétion de sa belle-famille, des usuriers et
huissiers. Dès lors cette mère infortunée se trouva dans une
position qui aurait attendri les cœurs les plus insensibles, mais il
en est qui sont plus durs que les rochers qui les entourent.
Abandonnée, dépossédée, sans secours, sans appui, elle fut
contrainte par la nécessité à se séparer de sa fille en bas âge,
à traverser les mers et à s'exposer au fer des brigands pour
aller chercher sur le sol natal, que d'autres fuyaient, les
ressources qu'elle venait de perdre... et y trouva la mort.
À sa majorité,
vingt-un ans Marie-Françoise Adèle fut forcée de disputer la
légitimité de la succession de son père dont sa famille paternelle
s'était emparée, et lutta de toutes ses forces avec l'énergie du
désespoir pour retrouver son rang, l'indemnisation des colons et son
héritage spolié, et gagna son procès.
ÉPITAPHE
: ICI REPOSE MARIE FRANÇOISE BAUDOUIN DE JOUISSIEAUME, ÉPOUSE DE MR
FRANÇOIS PIERRE ROUSTEL, LIEUTENANT VÉTÉRAN, NÉE À
TERRIER-ROUGE (ILE DE SAINT-DOMINGUE) DÉCÉDÉE LE 14 DÉCEMBRE
1830.
ELLE
EUT EN PARTAGE, LA BONTÉ, L'ESPRIT, L'ÉLOQUENCE, LA GRÂCE ET LA
BEAUTÉ PEUT-ÊTRE SANS EXEMPLE.
ELLE
PLAIDA DEUX FOIS DEVANT LE TRIBUNAL DE LA SEINE EN MATIÈRE DE
SUCCESSION, ET FIT L'ADMIRATION DES COLONS, ET REÇUT LES
FÉLICITATIONS UNANIMES DU BARREAU.
VOIR
LES DÉBATS, LA GAZETTE ET LE COURRIER DES TRIBUNAUX DES 4 JUILLET
1829 ET 5 DÉCEMBRE 1829.
BONNE
ÉPOUSE ET BONNE MÈRE, ELLE FUT ENLEVÉE À LA FLEUR DE L'ÂGE À
SON ÉPOUX ET À SES ENFANTS ET SES AMIS QU'ELLE LAISSE
INCONSOLABLES.
L Éclatant Vaisseau appelé le Bourbon jusqu’au 24juin 1671 (rebaptisé Éclatant en 1671);
construit en 1665-1666 en Charente par Jean Laure, 60 canons, mis en ponton en 1684.
L Éclatant Vaisseau appelé le Bourbon jusqu’au 24juin 1671 (rebaptisé Éclatant en 1671);
construit en 1665-1666 en Charente par Jean Laure, 60 canons, mis en ponton en 1684.
naissance 15/8/1788 à Haïti St Domingue Terrier-rouge Cap Français
décès 14/12/1830 Saint-Denis, Seine
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Je suis ravie de faire votre connaissance grâce au #RDVAncestral. Ce terrible récit d'immigration qui a pour origine une histoire vraie éveille des échos bien contemporains.
RépondreSupprimerMerci,c'est gentil,amitiés généalogiques. Martine
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