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lundi 23 octobre 2017



      
LA BOİTE À GOÛTER

Tous les jours, elle attendait la sortie des enfants devant l'école maternelle avec les autres mamans ne parlant à personne. Elle était discrète, effacée et toujours vêtue de vêtements aux couleurs grise mine. Cela faisait des semaines que ce manège durait, elle faisait partie du décor et personne ne faisait plus attention à elle. Elle était comme toutes les mamans, elle attendait son enfant. Mais ce matin là, en se levant, Maud eu un pressentiment et sut que c'était un bon jour pour changer de vie. Devant la grille de la petite école, elle attendait guettant la sortie des bambins, avec une boite à goûter à la main. Une bande d'enfants bruyant sortit en courant, les premiers se jetèrent dans les jupes de leurs mères, pendant que les maîtresses et les mamans discutaient entre elles.
      Un petit garçon étourdi, jouant sans regarder devant lui, se cogna la tête contre la boite à goûter de Maud, qui la lui mit immédiatement dans la main. Précipitamment, elle quitta l’école avec l'enfant serré dans ses bras tenant la boite à gâteaux comprimée contre sa poitrine. Une fois dans le bus, d'un geste tendre elle enleva le bonnet de l'enfant gigotant d' impatience, à la vue de son quatre-heures. Il avait besoin d'un bon bain, d'une coupe de cheveux et de changer ces habits usés et trop courts.
     Après la toilette, le garçonnet cheveux bien coupés et portant des vêtements neuf était méconnaissable, il était beau comme un cœur et souriait devant le miroir de la salle de bain. Maud, le calendrier des postes dans la main, assit l'enfant devant un beau gâteau avec six bougies et lui dit
« regarde aujourd'hui c'est ta fête et ton anniversaire mon petit Alban ». L'enfant surprit et heureux souffla ses bougies et ouvrit son cadeau émerveillé.
      Avec son nouveau travail, Maud avait changé de vie, de domicile et d'école son petit garçon. Son salaire lui permettait de bien s'occuper de son fils et de subvenir à ses besoins, ce qu'elle faisait sans problème. Pendant cinq ans tout fut parfait entre la mère et le fils, une complicité et un amour partagé comblaient leur vie.
      Le jour de ses onze ans, pendant l'absence de sa mère, Alban voulut lui faire une surprise en préparant une belle table de fête pour célébrer son anniversaire et la mutation de sa mère. Leur départ était prévu dans une semaine et leur nouvel appartement meublé déjà loué.
    Alban, monta sur chaise, prit la nappe blanche et les serviettes assorties sur le plus haut rayonnage du placard et maladroitement, fit tomber une boite à chaussure qui s’ouvrit en touchant le sol. Échappés de la boite, en vrac, des coupures de journaux, un bonnet, un pantalon usé et une boite à goûter. Comme dans un rêve Alban revit des images de son passé et son arrivée dans sa nouvelle maison.
      Assis à terre, la boite sur les genoux, les articles découpés dans les mains, il vit le portait d'un enfant disparu, enlevé à la sortie de l'école et la photo d'une femme frêle et malade. Il sortit de la maison en courant, prit le premier bus et se dirigea vers l'adresse indiqué. Tous ses souvenirs d'avant lui revinrent en mémoire et c'est sans peine qu'il retrouva la maison de son enfance.
       Devant la porte d'entrée de la petite maison vétuste, il lui fallu se faire violence pour trouver la force de mettre son doigt hésitant sur la sonnette. Personne ne répondit alors, d'une main tremblante, il tourna la poignée et entra dans la pièce. Sur le divan une femme affalée dormait, posé sur la table basse du salon, tout le matériel nécessaire à l’injection de son poison quotidien. Il fit le tour de l'appartement crasseux, une forte odeur d'alcool et de tabac lui monta aux marines lui soulevant le cœur et réveillant en lui des souvenirs oubliés.
      Des pleurs venus de la cave finirent de raviver des souvenirs douloureux. Sa courte vie dans cette maison, lui revint subitement en mémoire, les mauvais traitements, la mauvaise nourriture, le placard de la cave et les pleurs d'un bébé dans un couffin posé à même le sol. Il en connaissait le chemin par cœur et c'est sans se tromper qu'il dirigea vers la cave, celle des pleurs, de ses pleurs. C'était sa prison, où tous les mercredis il y passait sa journée, enfermé par une mère droguée.
      Il savait que derrière cette porte, un enfant en larmes attendait l'ouverture de la porte qui le délivrerait des monstres du placard. Le grand-frère protecteur, saisit la main de la petite fille et sans un mot, ils sortirent de la maison de l'horreur et montèrent dans le bus.
       Il revit le visage bienveillant de sa voisine de palier qui un jour, lui avait tendue la main et l'avait pris dans ses bras à la sortie de l'école quand il s’appelait encore, Éric.  Assise dans la cuisine, la boite de goûter dans les mains, Maud ne savait que faire et ne pouvait rien faire, « Alban savait ».
      Elle devait attendre son éventuel retour où disparaître. Elle se donnait encore une heure pour fuir, le bus s’arrêta devant la maison, le garçon en descendit en tenant par la main une petite fille mignonne et intimidée, dont les vêtements empestaient le tabac et l'alcool à plein nez.
      Alban mit la fillette dans les bras de sa mère et lui dit d'une voix pleine espoir et d'amour 
« c'est ma petite sœur, ta fille maman, garde la, garde nous ». 
       Et c'est à trois, qu'ils fuirent précipitamment pour une autre ville, vers une nouvelle vie, pour un avenir incertain, fait d’amour maternel et fraternel, abandonnant derrière eux, la cave et son placard.

    




Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
 http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk




dimanche 15 octobre 2017








LA MAQUILLEUSE



Juste avant la nuit, elle sortit par la porte de service de l'hôtel, en traînant comme à son habitude sa valise noire aux roues grinçantes. Après cinq minutes de marche, elle se dirigea vers un petit pavillon, où un vieil homme guettait sa venue devant sa porte entrouverte. Sans un mot, il la conduisit dans la chambre de sa femme et la laissa seule avec la vieille dame.
        De sa valise, Pauline sortit une trousse de maquillage emplie de produits de beauté et une boite contenant de belles reproductions de bijoux anciens. Elle se mit consciencieusement au travail, son baladeur diffusait une musique d'ambiance, couvrant les bruits de fond de la chambre et lui permettant de se concentrer sur sa tâche.
        Elle enduisit le visage de la vieille dame d'un masque hydratant, suivi d'un gommage en profondeur et continua par un massage pour bien détendre la peau. Comme un artiste peintre, avec ses pinceaux et couleurs, elle allongea les cils, retraça les traits des sourcils, le contour des lèvres et appliqua le rouge à lèvres. Le visage de la femme avait retrouvé de la fraîcheur et elle était belle malgré la vieillesse.
      Elle lui posa de faux ongles, d'un vernis rouge écarlate, pendant que ses yeux évaluaient son alliance sertie de brillants. Elle clippa sur les oreilles, deux perles en dégageant ses cheveux blancs pour les rendre visibles. Après l'avoir habillée de sa robe de cérémonie et parfumée, elle rejoignit le mari qui la récompensa généreusement et prit congé.
       Pauline n'avait pas le physique de son métier, elle était esthéticienne et n'avait pas la séduction de ses consœurs. Elle était petite et grassouillette, les cheveux gras et cassants, la poitrine tombante et la taille épaissie par une ceinture de graisse. Elle n'était pas de force à lutter contre ses concurrentes au visage et à la poitrine refaits. Elle y avait renoncé. Avec les soins nocturnes à domicile, son salaire avait doublé et le pourboire était royal. Le travail de nuit manquait de volontaires et ses employeurs n'étaient pas choqués de son aspect ingrat.
      Elle avait deux rendez-vous avant le lever du jour, mais ses clients n'étaient pas pressés, ils devraient être prêts au matin, pour la visite de la famille. Arrivé sur le lieu, une jeune femme brune en pleurs l'attendait sur le palier, pour la toilette et le maquillage de sa mère. Elle la suivit dans la chambre, où elle s’enferma pour ne pas être dérangée. Comme à l'accoutumée elle ouvrit sa mallette, sortit le maquillage, les bijoux et mit la musique afin de ne pas entendre les bruits gastriques et le gaz s'échappant du corps.
      Après les soins du visage et la toilette, elle revêtit la défunte d'une élégante robe noire, rehaussée d'un rang de perles. Elle déposa dans ses mains raidies un chapelet où brillait un magnifique solitaire. Elle rejoignit la jeune femme brune toujours en larmes et empocha son dû. Elle devrait se hâter pour son ultime rendez-vous de la soirée, la fatigue commençait à se faire sentir et elle avait hâte de se glisser sous ses draps.
      Une vieille dame la conduisit vers un monsieur étendu sur son lit, mort d'une crise cardiaque le matin même. Pauline prépara le blaireau et fit mousser le savon à barbe, elle allait commencer le rasage, quand elle remarqua un jonc en or surmonté d'un diamant à son auriculaire. Elle tira avec force pour subtiliser l'anneau, à ce contact, elle sentit les mains du vieil homme se réchauffer et trembler légèrement.
     Sans peur ni crainte, elle approcha son oreille de la bouche du vieux monsieur pour vérifier sa respiration. Un léger souffle à l'odeur de pommes pourries sortit de ses lèvres entrouvertes. L'homme tenta d'ouvrir les yeux en essayant de parler, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Sans état d'âme, elle appuya fermement l'oreiller sur sa bouche jusqu'à ce qu'il rende son dernier soupir et que ses mains retombent le long de son corps.
        Sans dégoût, elle suça le doigt raide du mort, l’entoura de salive, l'anneau glissa sans difficulté et fut aussitôt remplacé. Avec ses mains agiles, la montre de l'homme, par un tour de passe-passe disparut d'un coup, pour revenir comme par enchantement. Pauline le vêtit de son costume du dimanche, il était enfin prêt et présentable aux yeux de sa famille.
       Par acquit de conscience, elle fouilla les poches de son veston, où un portefeuille oublié somnolait, elle s’empressa de le délester de son contenu. De la poche du pantalon, elle sortit une petite clef. Des yeux elle scruta le mur à la recherche d'une cachette. Derrière la croûte d' un portait de famille, un petit coffre dissimulé apparut. Elle fit main basse sur l'argent et les bijoux et sortit de la chambre calmement.
        Ce contretemps ne devait en aucun cas chambouler son emploi du temps, faire gagner quelques jours de vie à son client n'était pas dans ses projets. Elle s'éloigna des lieux comme à son habitude, discrètement, après avoir reçu son salaire. Une fois à l'air libre, elle respira plusieurs fois à pleins poumons, pour éliminer de ses narines l'odeur de la mort.
      
  Arrivé à l'hôtel, assise dans son lit, dans une grande boite métallique, "elle déposa la collecte de la soirée parmi les joyaux déjà dérobés". Depuis toujours elle dépouillait les morts, chaque soir elle évaluait son butin amassé dans la nuit. La boite de bijoux précieux se remplissait de perles, de colliers, de bagues, pendant que celle des reproductions se vidait. L'échange était facile, il suffisait d'avoir de belles copies et l'estomac bien accroché.
       Son départ était programmé au lendemain matin, depuis trop longtemps elle écumait la ville, et avait besoin de changer d'air. Elle avait jeté son dévolu sur Nice, où la concentration de vieux était importante. C'était un vivier bien pourvu, avec des comptes en banque bien garnis. Quitter l'hiver du centre de la France, pour la douceur de la côte d'Azur n'était pas pour lui déplaire. Se constituer une nouvelle clientèle, repartir de zéro ne lui faisait pas peur.
     « La mort ne connaissait pas la crise »




 Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
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