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samedi 6 janvier 2018








LE FACTEUR
        Jean était le facteur du village, il avait été embauché à son retour de la guerre en 1945. Il faut dire que la marche ne lui faisait pas peur. Il faisait sa tournée à pied en commençant par le village qui comptait 150 âmes. Coiffé de son képi, vêtu de son uniforme de la poste, en drap marine, équipé de sa sacoche en bandoulière et de ses gros godillots ferrés il passait dans toutes les maisons du bourg. Puis il enfourchait son vélo et c’était parti pour dix kilomètres, il distribuait le courrier dans les fermes isolées où il était attendu comme le messie. Il faut dire que tout passait par lui, les nouvelles de la famille, les factures, les mandats et les lettres d'amour.
Une fois sa tournée finie Jean allait voir sa fiancée Pauline. Le dimanche jour de repos de Jean, tous deux allaient faire de longues escapades à la campagne. Pauline se souvient de cet après-midi où avec Jean se promenant dans le maquis, l’orage les avaient surpris et trempés jusqu’au os. Dans une grange abandonnée en pierres sèches ils s’étaient mis à l’abri. Dans ce foin et cette paille accueillante, ils s’étaient aimés, endormis sur cette couche dorée en attendant que la pluie cesse. Comme des gamins, ils avaient escaladé en riant le sommet de la meule et s’étaient retrouvés, coincés au milieu de son cœur.
Surpris que leurs pieds atterrissent sur une surface dure, ils dégagèrent une à une les bottes de paille et de foin qui la recouvrait, jusqu'à ce qu’ils mettent à jour, une ancienne voiture noire, une Citroën Rosalie de 1935, en parfait état, sûrement cachée là depuis longtemps. Pauline ouvrit la porte de la voiture et du rire elle passa aux larmes, aucun son ne pouvait sortir de sa bouche, elle se laissa tomber sur le sol de terre battue, effondrée.
Sur la banquette arrière, couchée, pelotonnée sur elle-même, le corps d’une femme se tenait là, complètement momifié, un livre dans les mains, une petite valise en carton à côté d’elle. Sous le choc, ils ne savaient que faire, Pauline prit le livre et commença à lire à voix basse. C’était un journal intime avec une date, juin 1935 .
La morte s’appelait Aline, elle était femme de ménage chez monsieur le maire et demain, elle fuguerait avec son amoureux, Pierre, le fils du maire. Pierre l’avait cachée dans la voiture avec des vivres, puis il avait édifié une grande et haute meule faite de foin et de paille, la cachant des regards.
À la nuit tombée, il la délivrerait et ils fuiraient ensemble, pour une nouvelle vie, loin de ce mariage arrangé, prévu par son père. C’est certain, qu’une domestique, ne pouvait en aucun cas, devenir la belle fille de monsieur le maire. Le père avait d’autres projets en tête pour son fils et la futur promise, avait comme dot, de si riches terres, à la limites de son domaine.
Aline avait écrit et attendu que Pierre vienne la libérer de sa prison de paille, espéré plusieurs jours avant de comprendre qu’il ne viendrait pas la chercher elle et son futur enfant. Alors, par désespoir, la mort dans l’âme d’avoir était trahie et abandonnée par l’homme qu’elle aimait, ne pouvant se dégager seule des bottes de paille, elle s’était allongée, résignée à son sort sur la baquette arrière et avait attendu la mort.
Jean, avait tant eu peur de mourir dans le camp de prisonniers et de ne plus revoir sa Pauline, avait les larmes aux yeux, même soldat dans ses pires moments de désespoir, il n’avait jamais sangloté comme ça. Jean, remit le journal dans les mains de la défunte et referma la porte de la voiture. Il voulait savoir pourquoi son amoureux, l’avait laissé mourir sous sa meule de foin.
En faisant sa tournée, il alla voir «la Jeanne» la doyenne de village, elle avait été la cuisinière du maire, elle lui raconta la terrible histoire de Pierre. Il avait refusé le mariage arrangé pour lui, alors son père l’avait enfermé à clef dans un cellier, au sous-sol pendant plus d’un mois, avec de l’eau et des vivres, personne n’avait le droit de lui parler, ni de lui rendre visite. Il s’était pendu, dans la cave de la maison familiale, au bout d’un mois. La citroën Rosalie et Aline la servante avaient disparu à la même époque et personne ne les avait jamais revues ni l'une ni l'autre.
Il avait laissé une lettre à son père, qui depuis la mort de son fils, avait perdu la raison et était devenu l’ombre de lui-même, ne parlant plus à personne. C’est tout ce qu’elle savait. Jean, écrivit sa première lettre anonyme et la dernière de sa vie à la gendarmerie, en leur indiquant, l’endroit où était le corps d’Aline. Les gendarmes se rendirent à la grange abandonnée, trouvèrent la voiture et le corps d’Aline, son journal, puis ils prirent la direction de la maison de l’ancien maire. Le père les reçut comme un mort vivant, sortit d’un tiroir, la lettre d’adieu de son fils Pierre. Un gendarme lut la lettre à haute voix
« Part ta faute père, Aline est morte, je ne peux pas vivre sans elle, je vais me pendre et je veux être enterré avec elle et l’enfant qu’elle attendait. J’ai supplié, pleuré, imploré dieu, pour que l’on ouvre la porte de ma prison, que je puisse aller la délivrer, la sauver de la mort, mais personne n’est venu ni ne m’a entendu. De savoir qu'elle pense que je l’ai abandonnée, me brise le cœur, adieu, je vais la rejoindre »
À la lecture de la lettre, le père, dans sa folie, s’enfuit dans la cave où Pierre était mort, ferma la porte à clef derrière lui et se pendit, à la même corde que son fils .
Jean était soulagé et heureux, en ce jour de son mariage avec Pauline, ils allèrent se recueillir sur la tombe des deux amoureux, la vie n’avait pas voulu d’eux et de leur enfant, mais la mort les avait réunis pour l’éternité. Leur amour avait était le plus fort et maintenant ils étaient une famille jusqu'à la fin des temps.
 


Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
 http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk