Pages

jeudi 28 février 2019



Martine
Et les garçons




   Caro Diario 
1966








                                                         



Je ne suis plus la petite fille que maman appelait
TITI
Depuis l’enfance, avec ce surnom que je n’aimais pas.

A seize ans maintenant,
Je vois bien que les garçons tournent autour de moi au café de maman.

Cela est nouveau pour moi, mais ce n’est pas dans mon programme.

Je ne suis pas disponible, ni dans ma tête, ni dans mon cœur, ni dans mon corps.

Je n’ai pas envie d’avoir des enfants comme maman,
Ni que l’on me quitte comme papa l’a fait.

Les HOMMES SERAIENT-ILS TOUS COMME CA ?
Et puis je suis jeune, alors j’ai bien le temps,
Et ma vie est pleine du manque de notre père.

Comment faire confiance aux  HOMMES,
Alors que le meilleur d’entre eux est parti loin de nous.

J’aime bien la compagnie de mes amis garçons,
Mais pour le reste, mon cœur est vide.

Je n’ai pas envie d’aller plus loin, et puis mon corps est à moi,
Et j’en fais ce que je veux.

Le plus dur est de faire le vide autour de soi, de me protéger.

Je me mure dans ma tête et je ferme la porte de mon cœur et de mon corps,
Comme ça pas de problème pour grandir en paix et aller de l’avant.
Devenir inaccessible et intouchable.

Certains clients voudraient aller plus loin avec moi, qu’ils aillent se faire voir,
Je suis dans mon monde et j’ai fermé la porte à clef.
Certains pensent que je suis une fille facile comme je travaille dans un café,
Mais j’ai bien le droit de rire et de m’amuser,
Avec mes amis en tout bien tout honneur.

Et je me moque de leurs dires, ma ligne de conduite est draconienne,
Et ne changera pas,
Et je suis très bien comme cela.

J’ai assez de soucis comme ça pour grandir, alors pourquoi me prendre la tête.

« Maintenant j’adorerais que maman m’appelle encore TITI »

ALORS PAS TOUCHE
SINON JE TAPE.



       Retrouvez cette nouvelle dans "Des Mots pour mes Maux et souvenirs




vendredi 1 février 2019

LA CROIX
1958

   Le jeudi, pas d'école pour cette ribambelle d'enfants, et les garnements s'en donnaient à cœur joie. Sur l'eau savonneuse du grand lavoir les fripouilles en culottes courtes à l'aide d'une baguette de bois, guidaient leurs petites embarcations, faites de coques de noix et d'allumettes.

   Les blanchisseuses d'un coup de battoir aspergeaient les galopins d’eau mousseuse pour les faire décamper, en leur criant : «  Allez jouer à la croix, c'est bien tranquille là-bas, et laissez-nous laver vos vêtements crotteux ».

  Toute la bande de polissons au pas de course traversait le village, et le bruit de leurs galoches ferrées annonçait leur arrivée. La croix de pierre posée au milieu d'un champ à la sortie du village était leur terrain de récréation, loin des regards désapprobateurs de leurs mères.

  Leurs jouets et leurs jeux étaient faits de tout et de rien, de pierres en guise d'osselets, et de bouts de bois pour les sabres et les épées. Une fronde, confectionnée avec la fourche d'une branche de noisetier et le caoutchouc d'une chambre à air de vélo, faisait leur bonheur, et le combat pouvait commencer.


   Épée en main, les chevaliers combattants esquivaient les coups de leurs adversaires, les gagnants escaladaient et s'asseyaient sur les bras de la croix, en récompense de leur triomphe, et des hurlements de joie s’élevaient en signe de victoire.

    Derrière des volets mi-clos, l'ombre d'une silhouette cachée par de lourds rideaux crasseux observait les enfants en marmonnant des paroles déplaisantes. Il avait l'apparence d'un homme des bois, reclus et sauvage, une personne terrifiante pour des gosses, dont il fallait se méfier.

   L'irritation du vieux garçon et sa colère non contenue, le poussaient à ouvrir la fenêtre et à leur brailler dessus. Le jour il ne sortait jamais de sa maison, alors les sacripants en profitaient pour le singer, lui tirer la langue et lui montrer leurs derrières.

    Avec leurs lance-pierres, les plus effrontés envoyaient des billes et des boules puantes par la lucarne ouverte du grenier. La pétoche au ventre, les mioches déguerpissaient en quatrième vitesse, en lançant des pétards, heureux de leurs plaisanteries. L'individu, fou de rage, les menaçait de tout faire sauter : sa maison, la croix et les vauriens avec.

   Le corps d'un gendarme assassiné dans le bois voisin, enfoui sous des feuilles et de la mousse, découvert par des promeneurs, fut le commencement de la fin de leur insouciance. Une tragédie dans le canton, et le début d'une enquête diligentée chez les habitants du hameau. Leur terrain de jeu était envahi de voitures, de reporters et de gendarmes, interdisant toute approche.

   L'une après l’autre, les fermes du bourg furent fouillées et retournées de fond en comble, dévoilant l'intimité de leurs occupants, et à son tour la maison de la croix fut investie.

   Lors de la perquisition, un arsenal d'armes et d'explosifs datant de la dernière guerre, fut découvert, donnant des sueurs froides aux démineurs. Des cantines militaires remplies de rations alimentaires subtilisées lors de parachutages, pouvaient ravitailler un régiment et permettre de soutenir un siège.

   L'arme du crime, un pistolet découvert derrière des sacs de charbon dans le bûcher, permit l'identification du criminel appréhendé aussitôt par les gendarmes, devant les enfants stupéfaits et épouvantés.

   La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, les mères poules des rejetons, tremblantes de peur et de culpabilité, attrapèrent leurs progénitures par leur fond de culotte et les enfermèrent à double tour.

   Suite à ce meurtre, pendant des années les enfants firent un long détour, le calvaire leur étant interdit. Tous regrettaient la frayeur et le frisson ressentis à la croix, parcourant leur corps et leur descendant au bas du dos, les rendant invincibles et maîtres du monde.

   Ils avaient tenu tête à un criminel, et étaient devenus des héros pour tous les enfants des villages voisins, et sur la place du hameau ils bombaient le torse en fanfaronnant et en criant :

«  Même pas peur ».

   Les paroles de leurs mères allaient résonner encore longtemps à leurs oreilles : «  Allez vous promener et jouer à la croix, c'est bien tranquille là-bas ».
 


           
Retrouvez cette nouvelle dans Contes de L'Obscur.