18 juin 2013
LE CHABANOU
Ce matin-là devant la
tombe de ma mère sous un soleil de plomb, je regardais fixement
l'ouverture du caveau familial.
Demain, maman allait rejoindre sa dernière demeure, et le fossoyeur, burin et maillet en main, descellait la lourde trappe de granite gris.
Demain, maman allait rejoindre sa dernière demeure, et le fossoyeur, burin et maillet en main, descellait la lourde trappe de granite gris.
À l'ouverture du
tombeau, une odeur de putréfaction, enfermée depuis plus de trente
ans, s’échappa, nous arriva en plein visage et me fit reculer d'un
pas.
Je ne me reconnaissais
pas, absente, froide et détachée de tout sentiment. Je restais là
figée, les bras ballants, bouche bée, devant ce spectacle qui
s'offrait à moi.
Je ne comprenais pas et
ne pouvais pas croire ce que mes yeux voyaient. Dans un brouhaha
confus venu de loin, je compris enfin ce que me disait l’employé
des pompes funèbres. La place de ma mère était prise, la sépulture
était pleine.
Horreur, stupéfaction,
incompréhension, un squatter, un intrus avait pris la place de ma
mère, comment cela était-il possible? Je passai ma tête dans
l'ouverture obscure de la cavité, sous le faisceau lumineux de ma
torche, je vis apparaître son corps momifié dans une housse
déchirée, allongé dans son cercueil pourri.
Dans un sursaut de rage,
de colère, je me mis à chercher sur la stèle une indication sur
l’identité de cet importun personnage. Je vis, posée au sol, une
discrète plaque de marbre noir, avec un nom inscrit sur une
bandelette de métal cuivrée, « CHABANOU », c'était donc notre
homme.
Pas un instant je n'ai
éprouvé de la compassion ni de l'indulgence pour LE CHABANOU,
la seule chose à laquelle je pensais, c'était faire de la place à
maman pour son premier jour de repos éternel bien mérité.
Avec l'énergie du
désespoir, et l'aide du fossoyeur, je sortis une à une les planches
pourries de la bière, et l'enveloppe avec le corps desséché fut
calée entre l'espace libre des deux rangées de cercueils.
Puis à coups de pied de
toutes ses forces, le croque-mort le fit descendre de quatre étages
et toucher le fond, où il disparut dans la pénombre. Une fois notre
forfait accompli, un sentiment de honte m'envahit, ce pauvre homme
posé le cul entre deux chaises au fond du trou, sans son cercueil,
quand même j'avais honte de moi.
Ma mère, qui avait le
cœur sur la main, recueillant chiens et chats errants, femmes et
progénitures mises à la porte de leur domicile, et qui tous les
Noëls mettait l'assiette du pauvre, allait se retourner dans sa
tombe, suite à notre sacrilège.
Mais comment faire,
l'enterrement était programmé le lendemain, c'était elle ou lui,
et j'ai choisi, la meilleure place pour elle. Les mois ont passé et
à ce jour Le Chabanou est toujours dans les bas-fonds de la
fosse et la cohabitation avec ma mère se passe bien.
Il avait été enterré
dans notre caveau « parce que l'on ne savait pas où le mettre, bien
qu'il n'en ait pas le droit », écrit textuellement sur l'acte de la
concession de l'état civil à la mairie, c'est invraisemblable cette
histoire quand j'y pense.
À toutes mes visites à
ma mère, il m'arrive souvent dans mes prières d'avoir une pensée
émue pour lui, seul, oublié de tous dans un entourage hostile.
Avec le recul, je suis certaine que
cela aurait bien fait rire ma mère, qui avait le sens de l'humour,
sauf que moi, ce jour-là, je n'ai pas ri du tout.
Retrouvez cette nouvelle dans Contes de L'Obscur.
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