LE
FACTEUR
Jean
était le facteur du village, il avait été embauché à son retour
de la guerre en 1945. Il faut dire que la marche ne lui faisait pas
peur. Il faisait sa tournée à pied en commençant par le village
qui comptait 150 âmes. Coiffé de son képi, vêtu de son uniforme
de la poste, en drap marine, équipé de sa sacoche en bandoulière
et de ses gros godillots ferrés il passait dans toutes les maisons
du bourg. Puis il enfourchait son vélo et c’était parti pour dix
kilomètres, il distribuait le courrier dans les fermes isolées où
il était attendu comme le messie. Il faut dire que tout passait par
lui, les nouvelles de la famille, les factures, les mandats et les
lettres d'amour.
Une
fois sa tournée finie Jean allait voir sa fiancée Pauline. Le
dimanche jour de repos de Jean, tous deux allaient faire de longues
escapades à la campagne. Pauline se souvient de cet après-midi où
avec Jean se promenant dans le maquis, l’orage les avaient surpris
et trempés jusqu’au os. Dans une grange abandonnée en pierres
sèches ils s’étaient mis à l’abri. Dans ce foin et cette
paille accueillante, ils s’étaient aimés, endormis sur cette
couche dorée en attendant que la pluie cesse. Comme des gamins, ils
avaient escaladé en riant le sommet de la meule et s’étaient
retrouvés, coincés au milieu de son cœur.
Surpris
que leurs pieds atterrissent sur une surface dure, ils dégagèrent
une à une les bottes de paille et de foin qui la recouvrait, jusqu'à
ce qu’ils mettent à jour, une ancienne voiture noire, une Citroën
Rosalie de 1935, en parfait état, sûrement
cachée là depuis longtemps. Pauline ouvrit la porte de la voiture
et du rire elle passa aux larmes, aucun son ne pouvait sortir de sa
bouche, elle se laissa tomber sur le sol de terre battue, effondrée.
Sur la banquette
arrière, couchée, pelotonnée sur elle-même, le corps d’une
femme se tenait là, complètement momifié, un livre dans les mains,
une petite valise en carton à côté d’elle. Sous le choc, ils ne
savaient que faire, Pauline prit le livre et commença à lire à
voix basse. C’était un journal intime avec une date, juin 1935 .
La
morte s’appelait Aline, elle était femme de ménage chez monsieur
le maire et demain, elle fuguerait avec son amoureux, Pierre, le fils
du maire. Pierre l’avait cachée dans la voiture avec des vivres,
puis il avait édifié une grande et haute meule faite de foin et de
paille, la cachant des regards.
À
la nuit tombée, il la délivrerait et ils fuiraient ensemble, pour
une nouvelle vie, loin de ce mariage arrangé, prévu par son père.
C’est certain, qu’une domestique, ne pouvait en aucun cas,
devenir la belle fille de monsieur le maire. Le père avait d’autres
projets en tête pour son fils et la futur promise, avait comme dot,
de si riches terres, à la limites de son domaine.
Aline
avait écrit et attendu que Pierre vienne la libérer de sa prison de
paille, espéré plusieurs jours avant de comprendre qu’il ne
viendrait pas la chercher elle et son futur enfant. Alors, par
désespoir, la mort dans l’âme d’avoir était trahie et
abandonnée par l’homme qu’elle aimait, ne pouvant se dégager
seule des bottes de paille, elle s’était allongée, résignée à
son sort sur la baquette arrière et avait attendu la mort.
Jean,
avait tant eu peur de mourir dans le camp de prisonniers et de ne
plus revoir sa Pauline, avait les larmes aux yeux, même soldat dans
ses pires moments de désespoir, il n’avait jamais sangloté comme
ça. Jean, remit le journal dans les mains de la défunte et referma
la porte de la voiture. Il voulait savoir pourquoi son amoureux,
l’avait laissé mourir sous sa meule de foin.
En faisant sa
tournée, il alla voir «la Jeanne» la doyenne de village, elle
avait été la cuisinière du maire, elle lui raconta la terrible
histoire de Pierre. Il avait refusé le mariage arrangé pour lui,
alors son père l’avait enfermé à clef dans un cellier, au
sous-sol pendant plus d’un mois, avec de l’eau et des vivres,
personne n’avait le droit de lui parler, ni de lui rendre visite.
Il s’était pendu, dans la cave de la maison familiale, au bout
d’un mois. La citroën Rosalie et Aline la servante avaient disparu
à la même époque et personne ne les avait jamais revues ni l'une
ni l'autre.
Il
avait laissé une lettre à son père, qui depuis la mort de son
fils, avait perdu la raison et était devenu l’ombre de lui-même,
ne parlant plus à personne. C’est tout ce qu’elle savait. Jean,
écrivit sa première lettre anonyme et la dernière de sa vie à la
gendarmerie, en leur indiquant, l’endroit où était le corps
d’Aline. Les gendarmes se rendirent à la grange abandonnée,
trouvèrent la voiture et le corps d’Aline, son journal, puis ils
prirent la direction de la maison de l’ancien maire. Le père les
reçut comme un mort vivant, sortit d’un tiroir, la lettre d’adieu
de son fils Pierre. Un gendarme lut la lettre à haute voix
«
Part ta faute père, Aline est morte, je ne peux pas vivre sans elle,
je vais me pendre et je veux être enterré avec elle et l’enfant
qu’elle attendait. J’ai supplié, pleuré, imploré dieu, pour
que l’on ouvre la porte de ma prison, que je puisse aller la
délivrer, la sauver de la mort, mais personne n’est venu ni ne m’a
entendu. De savoir qu'elle pense que je l’ai abandonnée, me brise
le cœur, adieu, je vais la rejoindre »
À
la lecture de la lettre, le père, dans sa folie, s’enfuit dans la
cave où Pierre était mort, ferma la porte à clef derrière lui et
se pendit, à la même corde que son fils .
Jean
était soulagé et heureux, en ce jour de son mariage avec Pauline,
ils allèrent se recueillir sur la tombe des deux amoureux, la vie
n’avait pas voulu d’eux et de leur enfant, mais la mort les avait
réunis pour l’éternité. Leur amour avait était le plus fort et
maintenant ils étaient une famille jusqu'à la fin des temps.
Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk
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