LA CHAMBRE NUPTİALE
La voiture de fonction du futur ministre de la justice se gara devant le perron du manoir, il en sortit en coup de vent sans attendre que son chauffeur ne lui ouvre la porte.
Son
porte-document sous le bras, il monta quatre à quatre les escaliers
en appelant sa femme Éva, pour lui annoncer la bonne nouvelle.
Éva
sortit rapidement de la chambre de sa belle-mère avec le lot d
échantillons de tissus sous le bras. À l'air joyeux de son mari,
elle comprit qu'il avait eu le poste qu'il convoitait et elle se jeta
dans les bras du nouveau garde des sceaux, laissant tomber les
rouleaux de toile. Cela faisait bientôt un an qu'Éva et Richard
étaient mariés, ils se connaissaient depuis l'enfance et avaient
fait un mariage d'amour.
Richard était fils unique, son père était mort
dans un accident de voiture en 1942, avant sa naissance, sa mère
l'avait élevé seule et ne s'était jamais remariée. Depuis
l’adolescence il était passionné par la politique et voulait en
faire son métier. C'était un homme juste, intègre, épris de
justice qui allait mettre toute son énergie et sa volonté au service de sa tâche. Éva savait qu'il ne
faillirait pas à son devoir et qu'il ferait un très bon mandataire
au service de son pays.
Depuis la mort de sa belle-mère, Éva était
devenue la maîtresse de maison et dirigeait la bâtisse familiale
avec brio, elle avait décidé de transformer la chambre de la
défunte, en chambre nuptiale. En la rendant moderne et fonctionnelle
elle voulait faire une surprise à son mari pour leur noce de coton.
Cette chambre inoccupée depuis la mort de la vieille dame était
spacieuse, deux grandes fenêtres laissaient entrer les rayons du
soleil et du balcon la vue imprenable des arbres centenaires du parc
finissaient de la rendre exceptionnelle. Un pan de mur était
recouvert de miroirs, cette petite galerie des glaces, donnait de la
profondeur et de la luminosité à la pièce.
Après le départ de son mari, elle commença le
grand nettoyage de la chambre. Les murs étaient tapissés de toile
de Jouy rose, elle confectionna des doubles rideaux assortis avec du
tissu retrouvé dans l'armoire de la lingerie. Pendant une semaine,
elle l’aménagea avec soin et y mit sa touche personnelle. La
grande façade des miroirs lui donna plus de travail, les vieilles
glaces Vénitienne au mercure étaient graisseuses et collantes, mais
retrouvèrent vite leur splendeur d'antan. Le soleil à son zénith
les inondait de ses rayons et les faisait scintiller comme des
diamants. La seule verrue de cette pièce était cette imposante
armoire régence posée là, devant les miroirs.
Elle remisa toutes les
affaires de sa belle-mère dans une autre chambre inoccupée. Dans le
scriban machinalement elle chercha les petits tiroirs secrets dont
tous les secrétaires sont pourvus. Elle les trouva rapidement en
actionnant d'une poussée un ressort discrètement dissimilé dans
une petite moulure. Un paquet de photos en noir et blanc entouré
d'un ruban de satin rose apparut du secret. Elle regarda les photos
une à une avec une curiosité et une excitation non retenue. Une
jeune fille souriante en robe blanche, les cheveux détachés posait
dans le jardin, un bouquet de fleurs dans les bras.
Elle
n’eut aucun mal à reconnaître en cette belle jeune fille sa
belle-mère. Les photos du manoir devinrent plus angoissantes, des
véhicules de l'armée Allemande stationnaient dans le parc, avec au
premier plan des soldats au garde-à-vous devant des officiers
Allemands. Plusieurs photos représentaient un jeune homme en
uniforme au regard mélancolique se tenant sur les marches du perron.
Son attention fut attirée par une photo de la chambre, où un bébé
assis à terre jouait devant une porte entrouverte, inconnue.
Son
regard parcourut la pièce et s’arrêta devant la grosse armoire
Régence. Éva la poussa de toutes ses forces en la faisant glisser
sur le paquet jusqu'au mur opposé. Débarrassé de son imposant
meuble, les rayons du soleil laissèrent apparaître des lignes
biseautés dessinant un encadrement de porte, à peine visible à
l’œil nu et disparaissant une fois le soleil caché.
Éva poussa la porte de glace qui coulissa
facilement, mettant à jour une antichambre, elle chercha
l’interrupteur et la lumière jaillit, la laissant les jambes
flageolantes et le souffle coupé. Sur le lit, le reste d'un
squelette gisait là, les os étaient alignés sans désordre, sur un
couvre-lit en loque. Encore accroché aux doigts, un médaillon en or
à demi ouvert, avec la photo des deux jeunes gens souriant. Sur la
commode, l'uniforme poussiéreux du soldat allemand était
soigneusement plié laissant apercevoir une trace de balle sur la
poitrine.
Posé sur la table de chevet, un petit livre
ancien avec une reliure en maroquin rouge où l'on devinait sous la
poussière le titre incrusté en lettres d'or .
« Caro Diario ».
« Caro Diario ».
C'était les confidences
d'une femme meurtrie, blessée, sa belle -mère. Elle parlait de sa
passion, de son impossible amour avec le père de son fils, l'ennemi
de son pays, l'homme à abattre.
Au premier regard ils étaient tombés éperdument
amoureux. Veuve depuis un mois, après un mariage arrangé par sa
famille, elle n'avait pu résister à ce bel officier et aux
sentiments qu'ils avaient l'un pour l'autre. Leur passion, ils
l'avaient cachée dans cette petite antichambre et leur enfant y
était né huit mois plus tard. Pendant le reste de la guerre elle ne
vécu que pour son petit garçon, puis à la libération, le destin
les rattrapa et s'acharna sur eux. L’officier blessé par les
partisans se réfugia chez elle pour mourir dans ses bras.
Elle ne pouvait demander d'aide à personne, ni lui
donner une sépulture décente alors, elle le laissa reposer dans
l'antichambre et en mura la porte avec la grosse armoire. Jusqu'à sa
mort elle vécut avec lui dormant chaque nuit dans la pièce voisine.
Éva, mit les photos, le médaillon et le livre
rouge dans une boite métallique, les ossements du soldat et son
uniforme dans le reste du couvre-lit et se rendit à la chapelle du
manoir. Elle descendit les escaliers en pierre du tombeau familial et
sans peur dévissa le cercueil de sa belle-mère. Avec respect et
tendresse elle y déposa la boite métallique, le couvre-lit
contenant des reliques du soldat et calmement revissa le couvercle.
Un tel amour partagé, méritait bien que le couple soit enfin réuni,
pour son repos éternel.
Au retour de son mari, elle lui montra fièrement
la chambre nuptial, il fut surprit de la découverte de l'antichambre
et fou de joie à la vue qu'elle était devenue une petite chambre
d'enfant.
Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk
http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire