LE POTAGER DU PERE MARTIN
Tous les jeudis matin Monsieur Martin vêtu de son tablier vert, son chapeau de paille enfoncé sur la tête et ses éternelles bottes de caoutchouc aux pieds, chargeait les produits de son potager dans sa vieille camionnette bâchée.
Tous les jeudis matin Monsieur Martin vêtu de son tablier vert, son chapeau de paille enfoncé sur la tête et ses éternelles bottes de caoutchouc aux pieds, chargeait les produits de son potager dans sa vieille camionnette bâchée.
À
peine arrivé sur la place du village, il était déjà attendu par
les ménagères avec leurs cabas vides devant son emplacement. Sur
son étal, de belles tomates, des haricots verts sans fil, des
fraises rouges sucrées, des pommes de terres blondes et autres
légumes s'y côtoyaient. Le clou du spectacle, était ces
magnifiques bouquets de fleurs colorés, cultivés spécialement pour
fleurir l'autel, disposés à la vue de tous.
Monsieur
le curé qui lui donnait le bon Dieu sans confession, lui demandait
toujours son secret pour avoir, de si beaux bouquets et il répondait
en riant,
« C’est la main de dieu mon père, ma terre est bénie
»
En
souriant il découvrait ses dents blanches éclatantes de santé et
il rajoutait « Manger des bons légumes bien sains, c’est bon pour
les os et les dents. »
Il
vivait seul à « La Brunette» dans la vieille maison des ses
parents bâtie sur les hauteurs du village où il y était né. Elle
était entourée d’un haut mur de pierres sèches, à l’abri du
vent et des regards, accolée à la ruine de l’ancienne église
désaffectée du hameau.
Depuis l'année 1940, il s’occupait avec
passion de son potager et de ses fleurs. Il aimait trop la nature
pour avoir eu un jour envie de partir vivre en ville. Au cours des
années, il avait doublé la surface de son potager, grâce à un
bout de terrain qu’il avait au fond de sa propriété, juste
derrière la vieille ruine de chapelle, en friche depuis des lustres.
Les
anciens du village disaient que dans le temps, c’était un jardin
de curé. Il l’avait creusé, désherbé, pendant des mois pour
qu’enfin, il fut un potager digne de ce nom. Dans une cave tout à
côté, il préparait sa poudre de perlimpinpin, une recette secrète
à lui pour ses plantations.
Cela
lui prenait du temps, d’abord il fallait trier la matière, la
réduire en petits morceaux, il devait renouveler cette manipulation
de nombreuses fois pour obtenir la taille voulue, pour enfin la
mettre dans une broyeuse de son invention, d’où elle ressortait en
une sorte de farine fine et blanche. Il ne pouvait partager son
secret avec personne.
Toute
la journée, il sulfatait sa poudre miraculeuse dans son jardin, en
passant par des allées qu’il avait créées entre les rangées de
semis, Avec l’eau douce de son puits, il arrosait copieusement sa
préparation pour qu’elle pénètre en profondeur dans la terre. En
faisant cela tous les jours, du printemps à l’automne, il avait
les plus résistants plants de la région.
Il était devenu une
référence dans le canton pour la qualité de sa production. Il faut
dire que la besogne ne lui faisait pas peur. Ce nouveau terrain en
jachère lui donnait beaucoup de peine, c’était un dur labeur, pas
une partie de plaisir, pour avoir de tels produits, cela valait bien
un sacrifice.
Il dut arracher l’herbe, déterrer les grosses
pierres enfouies dans la terre, extraire le bois mort et les lourdes
ferrailles qui jonchaient le champ depuis des siècles. Donc, il
n’était pas sans ouvrage.
Dans
ses caves voûtées juste à côté, il entreposait son engrais
magique, il y était empilé du sol au plafond. Tout le long du mur
d'enceinte de la propriété, en tas bien disposées, les pierres de
taille étaient posées à même le sol et la ferraille en fer forgé
y finissait de rouiller entassée là pêle-mêle en attendant le
brocanteur.
Toutes les semaines, il faisait un grand feu pour brûler
les herbes sèches et le bois qu'il sortait constamment de la terre.
Le feu éteint, il récupérait ses précieuses cendres enrichies de
nitrates, pour les répandre dans son potager.
À
chaque labourage de sa parcelle, des débris remontaient à la
surface, ce qui le mettait en liesse. Les journées, les saisons
passaient, lui apportant toujours d’aussi abondantes récoltes.
Bien sûr il ne pouvait révéler son secret à personne, sinon les
portes du paradis lui seraient fermées à jamais.
Son bout de
terrain, n’avait jamais été un jardin de curé, mais un vieux
cimetière oublié de tous, où depuis des années, il exhumait des
squelettes, des cercueils de bois pourris qu’il rangeait en vrac
dans la cave. Crânes, tibias, fémurs tout était bon à prendre.
«C’était
Sa matière première sa fameuse poudre blanche»
Une
fois par semaine, il brûlait les bières et les mauvaises herbes.
Les pierres tombales aux patronymes à moitié effacés par l’érosion
ainsi que la ferraille des croix des sépulcres seraient vendues plus
tard au poids chez le ferrailleur de la ville.
Chaque semaine, il
mettait à jour d’autres tombes pour son plus grand bonheur de
jardinier. Régulièrement, il broyait les os, pour avoir de la
mixture d’avance et ne pas en manquer. C’est sûr, il s’était
fait un nom,
«
Le jardinier à la main verte »
Longtemps
encore, ses clients auraient la primeur de sa récolte, de jolies
fleurs sur leurs tables de fêtes nourries à la poussière de morts.
L‘autel
de l’église, sur lequel chaque jeudi il déposait ses compositions
florales, pour se mettre en accord avec Dieu, n’en manquerait pas,
tant que le seigneur lui prêterait vie.
Qui l’espérait longue,
car sur terre comme aux cieux, tout le monde profitait de ses
bienfaits. Il faisait plaisir aux mortels et à Dieu alors, il aurait
peut-être une place au paradis.
Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
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