La pleine lune
Accoudée au garde-corps de la terrasse, Marianne
percevait les odeurs subtiles et sucrées des roses
anciennes qui se dégageaient de la closerie. La nuit
était belle, et la pleine lune éclairait le parc par cette
chaude nuit d’été. Le jardin libérait toutes ses senteurs
et invitait les amants à une promenade romantique
parmi ses charmilles.
Elle se retourna vers son compagnon Charles le
sourire aux lèvres, et lui proposa une balade nocturne
bras dessus, bras dessous. Elle voulait lui montrer ses
roses trémières, et la nouvelle allée de graviers blancs,
menant à un banc de pierre. Dans ce havre de paix, les
yeux dans les yeux, et la main dans la main, il lui avait
récité autrefois ses premiers poèmes d’amour.
Continuant sa lecture en la regardant du coin de
l’œil, Charles l’écoutait d’une oreille distraite. Il
n’avait pas envie de se lever de son siège, ni de
parcourir ce sentier de gravillons blancs et encore
moins de s’asseoir sur cette dalle de granite. Il sentait
bouillonner sa colère et monter en lui sa mauvaise
humeur.
Marianne continuait d’insister gentiment, pour le
convaincre de poser son livre, de venir contempler ses
massifs et de flâner parmi les allées odorantes. Dans
un geste d’agacement, il lança le livre dans sa
direction, les pages blanches voletèrent sous l’action
du souffle d’air et retombèrent à ses pieds.
Il s’extirpa de son fauteuil en cuir vieilli, et vint
s’appuyer à côté d’elle à la rambarde du balcon. Le
visage fermé, l’air buté, les sourcils froncés sous ses
lunettes noires, il scruta le parc d’un regard boudeur
en haussant les épaules, décourageant toute approche.
D’une voix grave et d’un pas mal assuré, il accepta
sa corvée de marche quotidienne en ronchonnant. Il
enleva ses lunettes noires découvrant ses yeux bleus,
et s’empressa de les remettre aussitôt.
Marianne ramassa le livre aux pages blanches,
qu’elle déposa sur l’accoudoir du fauteuil, et
tendrement lui prit le bras. Au portemanteau de
l’entrée, à tâtons, il décrocha d’un geste nerveux sa
canne, lâcha le bras de Marianne et s’éloigna d’un pas
hésitant.
Elle vit l’ombre désorientée de sa silhouette
disparaître au bout du chemin, se hâta de le rejoindre,
et lui offrit son bras.
La nuit était belle et étoilée, mais elle était noire
même sous la pleine lune, noire comme la noirceur de
son cœur, devenu malheureux et dur comme les
pierres.
Sa joie de vivre l’avait abandonné, et son âme
de poète était devenue sombre comme une nuit sans
fin.
La canne blanche, les pages blanches en relief,
étaient la maldonne de dame nature qui lui avait
donné ses yeux bleus laiteux sans vie, et un caractère
de chien.
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