MADELEİNE
Assise
devant son bureau américain, Madeleine écrivait sa 1460° lettre à
son correspondant incarcéré depuis vingt ans, qu’elle n’avait
jamais vu. En plus de toutes ses autres activités caritatives,
depuis quatre ans, elle écrivait une lettre par jour à ce
prisonnier, cela comblait sa vie de femme solitaire et de retraitée.
Madeleine avait soixante ans, c’était une femme serviable,
croyante, toujours prête à aider son prochain dans la souffrance
physique ou morale. Le cœur sur la main et dévouée à toute
personne sollicitant son aide et son soutien. Par la lecture
journalière de ses lettres, elle donnait de la chaleur humaine à ce
captif, lui permettant de tenir et de survivre dans l’enfer de la
prison.
Depuis un
mois les lettres de son correspondant étaient plus intimes, plus
passionnées, il lui parlait même d’amour, de la joie et du
bonheur qu’il aurait de la voir à sa sortie de prison. La distance
étant trop grande, Madeleine s'installa dans un meublé près du
lieu de son incarcération voulant être présente le jour de sa
libération. Elle lui en fit part en ajoutant, qu’elle avait des
sentiments pour lui, mais cela était encore confus pour elle dans sa
tête et son cœur.
Il était
dans ses pensées à chaque instant du jour et de la nuit et chaque
fois qu’elle évoquait son nom, son cœur atrophié s’affolait.
Elle ressentait une douleur aiguë dans la poitrine et le souffle lui
manquait. Ses amies se moquaient d’elle et lui disaient qu’elle
était amoureuse comme une collégienne. Cela la faisait rire, elle
ne voulait pas se projeter dans l’avenir, vivre son présent était
son but dans la vie. Elle laissa son passé derrière elle, son
ancien appartement, quitta ses amies, sa ville de toujours et
emménagea dans un joli petit meublé coquet, qu’elle décora avec
goût à dix minutes de la maison d’arrêt.
Dans ses
confidences, il lui avouait sa condamnation à vingt ans de prison
suite à un braquage raté avec mort d’homme. Maintenant c’était
de l’histoire ancienne ils regarderaient ensemble dans la même
direction, l'avenir et la liberté. Madeleine ne voulait plus vivre
dans le passé, le sien lui faisait horreur, l’avait empêché de
refaire sa vie, d’être tout simplement vivante et heureuse.
À sa
sortie de prison, elle serait là, c'était une promesse. La remise
en liberté approchant, l'angoisse la submergeait, elle avait changé
son apparence, teint ses cheveux blancs en châtain, perdue quinze kg
pour lui plaire. Elle, qui ne l'avait jamais fait auparavant
maintenant ne sortait jamais sans maquillage, elle était
méconnaissable. De vieille femme effacée, elle était devenue une
dame d’âge mûr rayonnante de sa beauté retrouvée. Madeleine
avait rajeunie de dix ans et à nouveau les hommes se retournaient
sur son passage. Elle lui avait envoyé sa photo avec son nouveau
physique et lui avait plu avec sa silhouette élancé et son beau
sourire aux dents éclatantes. La date venue, elle était là devant
les hautes portes closes de la centrale, attendant impatiente et
nerveuse sa libération.
À
l’ouverture du porche, un homme grand et vieilli avant l'âge
sortit, elle lui prit la main en souriant et sans une parole ils
s’engouffrèrent dans un taxi. Il la suivit comme un enfant jusqu'à
l'appartement douillé qu'elle avait préparé pour lui, où un repas
fin les attendaient, avec le champagne au frais.
L'homme
voulut l'embrasser, Madeleine dit qu'ils avaient tous le temps, elle
croisa son bras avec le sien, portant à leurs lèvres les coupes de
champagne. Il but le champagne d'un seul trait et sentit la chaleur
courir dans ses veines puis sourit bêtement, ses jambes flageolaient
déjà et il chercha une chaise pour s'asseoir. Sa vue se troubla,
sur sa figure une expression de surprise se figea, il ne comprenait
pas son malaise et regarda Madeleine interrogateur. De sa bouche
grimaçante, sa langue pâteuse et noire laissait dégouliner un
filet de salive mousseuse à la commissure de ses lèvres. Sur sa
chaise, ses jambes et ses bras pendants lui donnaient l'air d'un
pantin désarticulé, dont on aurait coupé les ficelles. Assise en
face de lui sourire aux lèvres, calme et détendue, Madeleine le
regarda d'une façon étrange. Elle commença à parler calmement
d'une voix claire et douce en sirotant son champagne.
Il y a
vingt ans, sortant de la bijouterie pistolet au poing après son
holdup manqué, dans sa fuite il avait tiré, une balle perdue avait
tué un passant, la victime était son mari. Madeleine hospitalisée
avait perdu l'enfant qu'elle attendait, depuis les battements de son
cœur atrophié se réduisaient comme une peau de chagrin. Seul le
souvenir de sa famille et sa soif de vengeance l'avait tenue en vie.
Madeleine, calmement, consciencieusement prit des photos de tous les
instants de sa lente agonie, des trophées de chasse pour orner les
murs de sa nouvelle maison à la campagne. Une joie immense la
submergea de le voir rendre l'âme et son cœur malade et fatigué
lui fit mal de bonheur.
Elle se
rendit dans la salle de bain et en ressortie métamorphosée une
heure plus tard. Personne ne fit attention à cette silhouette
furtive qui sortit de l'immeuble et qui se dirigea vers la gare en
boitillant, vêtue d'un vieux costume démodé et bien trop large
pour elle
À l’arrêt
du train, un vieil homme voûté, les cheveux blancs coupés cours,
une canne dans la main descendit péniblement sur le quai de la gare.
Il marchait courbé comme s' il portait sur son dos toute la
souffrance du monde.
Il entra
dans la maison, referma la porte derrière lui et se regarda dans le
grand miroir du salon. Une à une il sortit des photos de sa poche et
les coinça entre l'interstice de la glace et du cadre. D'un coup, il
sentit une grande lassitude et les battement de cœur se ralentir.
Il sourit
au reflet de l'inconnu du miroir, il pensa à la stupéfaction de la
personne qui le trouverait mort, en voyant qu'il n'était pas un
homme, mais une femme.
Sous ce
simulacre « Monsieur Madeleine » allait pouvoir finir ses jours
dans le calme et la sérénité, en échappant à sa condamnation à
la prison à vie pour assassinat.
Avec
interruption des ses médicaments, il savait ses jours comptés, mais
plus vite son cœur défaillant arrêterait de battre et plus vite il
serait débarrassé de sa souffrance et irait rejoindre sa famille.
Ce meurtre
était le seul but de sa vie depuis vingt ans, maintenant il
attendait sa fin pour mettre un point final à l'histoire tragique de
sa vie et redevenir
« feu
Madame Madeleine ».
Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk
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