LA MAQUILLEUSE
Juste avant la nuit, elle sortit par la porte de service de l'hôtel, en traînant comme à son habitude sa valise noire aux roues grinçantes. Après cinq minutes de marche, elle se dirigea vers un petit pavillon, où un vieil homme guettait sa venue devant sa porte entrouverte. Sans un mot, il la conduisit dans la chambre de sa femme et la laissa seule avec la vieille dame.
Juste avant la nuit, elle sortit par la porte de service de l'hôtel, en traînant comme à son habitude sa valise noire aux roues grinçantes. Après cinq minutes de marche, elle se dirigea vers un petit pavillon, où un vieil homme guettait sa venue devant sa porte entrouverte. Sans un mot, il la conduisit dans la chambre de sa femme et la laissa seule avec la vieille dame.
De sa valise, Pauline sortit une
trousse de maquillage emplie de produits de beauté et une boite
contenant de belles reproductions de bijoux anciens. Elle se mit
consciencieusement au travail, son baladeur diffusait une musique
d'ambiance, couvrant les bruits de fond de la chambre et lui
permettant de se concentrer sur sa tâche.
Elle enduisit le visage de la
vieille dame d'un masque hydratant, suivi d'un gommage en profondeur
et continua par un massage pour bien détendre la peau. Comme un
artiste peintre, avec ses pinceaux et couleurs, elle allongea les
cils, retraça les traits des sourcils, le contour des lèvres et
appliqua le rouge à lèvres. Le visage de la femme avait retrouvé
de la fraîcheur et elle était belle malgré la vieillesse.
Elle lui
posa de faux ongles, d'un vernis rouge écarlate, pendant que ses
yeux évaluaient son alliance sertie de brillants. Elle clippa sur
les oreilles, deux perles en dégageant ses cheveux blancs pour les
rendre visibles. Après l'avoir habillée de sa robe de cérémonie
et parfumée, elle rejoignit le mari qui la récompensa généreusement
et prit congé.
Pauline n'avait pas le physique
de son métier, elle était esthéticienne et n'avait pas la
séduction de ses consœurs. Elle était petite et grassouillette,
les cheveux gras et cassants, la poitrine tombante et la taille
épaissie par une ceinture de graisse. Elle n'était pas de force à
lutter contre ses concurrentes au visage et à la poitrine refaits.
Elle y avait renoncé. Avec les soins nocturnes à domicile, son
salaire avait doublé et le pourboire était royal. Le travail de
nuit manquait de volontaires et ses employeurs n'étaient pas choqués
de son aspect ingrat.
Elle avait deux rendez-vous avant
le lever du jour, mais ses clients n'étaient pas pressés, ils
devraient être prêts au matin, pour la visite de la famille. Arrivé
sur le lieu, une jeune femme brune en pleurs l'attendait sur le
palier, pour la toilette et le maquillage de sa mère. Elle la suivit
dans la chambre, où elle s’enferma pour ne pas être dérangée.
Comme à l'accoutumée elle ouvrit sa mallette, sortit le maquillage,
les bijoux et mit la musique afin de ne pas entendre les bruits
gastriques et le gaz s'échappant du corps.
Après les soins du
visage et la toilette, elle revêtit la défunte d'une élégante
robe noire, rehaussée d'un rang de perles. Elle déposa dans ses
mains raidies un chapelet où brillait un magnifique solitaire. Elle
rejoignit la jeune femme brune toujours en larmes et empocha son dû.
Elle devrait se hâter pour son ultime rendez-vous de la soirée, la
fatigue commençait à se faire sentir et elle avait hâte de se
glisser sous ses draps.
Une vieille dame la conduisit
vers un monsieur étendu sur son lit, mort d'une crise cardiaque le
matin même. Pauline prépara le blaireau et fit mousser le savon à
barbe, elle allait commencer le rasage, quand elle remarqua un jonc
en or surmonté d'un diamant à son auriculaire. Elle tira avec force
pour subtiliser l'anneau, à ce contact, elle sentit les mains du
vieil homme se réchauffer et trembler légèrement.
Sans peur ni crainte, elle
approcha son oreille de la bouche du vieux monsieur pour vérifier sa
respiration. Un léger souffle à l'odeur de pommes pourries sortit
de ses lèvres entrouvertes. L'homme tenta d'ouvrir les yeux en
essayant de parler, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Sans état
d'âme, elle appuya fermement l'oreiller sur sa bouche jusqu'à ce
qu'il rende son dernier soupir et que ses mains retombent le long de
son corps.
Sans dégoût, elle suça le
doigt raide du mort, l’entoura de salive, l'anneau glissa sans
difficulté et fut aussitôt remplacé. Avec ses mains agiles, la
montre de l'homme, par un tour de passe-passe disparut d'un coup,
pour revenir comme par enchantement. Pauline le vêtit de son costume
du dimanche, il était enfin prêt et présentable aux yeux de sa
famille.
Par acquit de conscience, elle
fouilla les poches de son veston, où un portefeuille oublié
somnolait, elle s’empressa de le délester de son contenu. De la
poche du pantalon, elle sortit une petite clef. Des yeux elle scruta
le mur à la recherche d'une cachette. Derrière la croûte d' un
portait de famille, un petit coffre dissimulé apparut. Elle fit main
basse sur l'argent et les bijoux et sortit de la chambre calmement.
Ce contretemps ne devait en aucun
cas chambouler son emploi du temps, faire gagner quelques jours de
vie à son client n'était pas dans ses projets. Elle s'éloigna des
lieux comme à son habitude, discrètement, après avoir reçu son
salaire. Une fois à l'air libre, elle respira plusieurs fois à
pleins poumons, pour éliminer de ses narines l'odeur de la mort.
Arrivé à
l'hôtel, assise dans son lit, dans une grande boite métallique, "elle
déposa la collecte de la soirée parmi les joyaux déjà dérobés".
Depuis toujours elle dépouillait les morts, chaque soir elle
évaluait son butin amassé dans la nuit. La boite de bijoux précieux
se remplissait de perles, de colliers, de bagues, pendant que celle
des reproductions se vidait. L'échange était facile, il suffisait
d'avoir de belles copies et l'estomac bien accroché.
Son départ était programmé au
lendemain matin, depuis trop longtemps elle écumait la ville, et
avait besoin de changer d'air. Elle avait jeté son dévolu sur Nice,
où la concentration de vieux était importante. C'était un vivier
bien pourvu, avec des comptes en banque bien garnis. Quitter l'hiver
du centre de la France, pour la douceur de la côte d'Azur n'était
pas pour lui déplaire. Se constituer une nouvelle clientèle,
repartir de zéro ne lui faisait pas peur.
« La mort ne connaissait pas la
crise »
Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk
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