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dimanche 29 décembre 2019



                                                                        LE PAPÉ





    Toute la famille était maintenant réunie dans la maison, après la mort du Papé. Il était enfin mort, cette vieille canaille de grippe-sou, ce vieux « grigou » de Papé, et tous avaient trouvé le temps long. Quatre-vingt-dix ans et mort de sa belle mort, dans son sommeil, sans avoir révélé sa cachette. Toute sa vie, il avait parlé de son magot, de ses lingots d’or. Il avait la mainmise sur son entourage, et s’amusait de les faire marcher à la baguette. Aussi tous les dimanches pendant des années, il recevait la visite de sa famille. 
    
  Pendant que les uns s’occupaient de lui, les autres fouillaient la maison méthodiquement et à ce jour, ils étaient toujours repartis bredouilles. Si pour le reste de l’héritage, tout était prévu, pour l’or il n’y avait aucune indication. La maison, ils se la partageraient ainsi que l’argent, et ils devraient prendre soin de son chien. La fouille pouvait commencer, pièce après pièce, meuble par meuble, ils fouillaient tout, sondant les boiseries, les murs, le plancher, le plafond, le bric-à-brac hétéroclite du grenier et de la cave, il n’y avait rien. 
    
  Tout le printemps, ils farfouillèrent, certains pensaient que l’or avait disparu, ou qu’il n’avait jamais existé. Pendant deux mois, rien n’avait échappé à leurs fouilles, il n’y avait pas la trace d’un louis d’or, ni un seul lingot. De guerre lasse, ils partirent en se promettant de recommencer l’été prochain. Chacun voulait prendre son bien, mais personne ne voulait du chien. Les uns voulaient le tuer, les autres l’abandonner, aucun d’eux ne voulait de cette pauvre bête. 
    
  Leur voisin, Antoine, un brave garçon, pour éviter un destin tragique au canidé, se proposa de l’adopter. La maison fermée, chacun repartit de son côté, en attendant les beaux jours. Tous les matins, Antoine allait rechercher le chien à la maison du Papé, car il retournait dormir dans sa niche, il était aussi têtu que son ancien maître. C’était un beau petit bâtard, aux poils longs, avec une tache noire sur un œil et une tache blanche sur l’autre œil. Un chien pour garder les vaches, affectueux et fidèle à son ancien maître, il n’avait pas de nom, alors il l’appela « Bâtard ». 
     
   L’été arriva avec le retour de la dynastie des héritiers, remontés à bloc pour de nouvelles fouilles stratégiques. Pendant l’été, ils mirent à sac la maison et son contenu, puis ils repartirent la tête basse, mirent la maison en vente et le calme revint dans la maisonnée. L’hiver arrivant, le chien couchait maintenant sur le seuil de la porte de la maison d’Antoine, il avait accepté l’idée qu’il avait un nouveau maître. Antoine un matin, le vit grelottant de froid sur le paillasson, prit la décision d’aller chercher sa niche. Il la chargea sur sa charrette et l’installa vers sa porte d’entrée, à l’abri des courants d’air. 
     
   C’était une grosse niche en chêne, ayant servi, pendant plus de cinquante ans, à tous les chiens que le Papé avait eus dans sa vie. Leurs noms étaient gravés dessus, sauf celui du dernier, le Papé étant trop vieux pour le sculpter. Avec son coutelas, toujours dans sa poche, Antoine incrusta dans le bois, le nom de son chien, « Bâtard ». Puis les choses changèrent peu à peu pour Antoine, l’homme à tout faire du village. 
   
    Il arpentait maintenant la campagne avec son chien à la recherche des truffes. Bâtard déterrait le diamant noir, comme aucun autre chien de la région, le Papé l’avait dressé au cavage de la truffe. Antoine disait en riant, que cela lui mettait du beurre dans les épinards. Avec l’argent de ses truffes, il avait fait l’acquisition de piochons, d’une bicyclette neuve avec un panier pour le chien truffier et d’une paire de brodequins en cuir. Antoine aimait cet animal et le chien l’aimait aussi, tout deux faisaient une bonne équipe. 
  
  Bâtard avait repris possession de niche et coulait des jours heureux de chien. À bicyclette ils partaient tous les deux pour de longues promenades en forêt et au retour dans sa besace, il y avait de belles truffes noires et odorantes. Antoine fit d’autres achats, aussitôt enviés par ses amis, une nouvelle tenue pour la chasse, un nouveau fusil, un fourneau neuf et une baignoire pour laver son chien. 
  
   Il prenait grand soin de Bâtard, son gagne-pain. Antoine était sur tous les marchés du canton, avec son chien et ses truffes ; maintenant les habitants disaient que le magot, c’était le chien, que les héritiers auraient dû le prendre, au lieu de fouiller la maison comme des fous pour chercher les lingots d’or. Tout le monde l’enviait et il avait eu des propositions d’achat pour la « bête ». Antoine les envoyait tous se faire lanlaire, il avait une rentrée d’argent secrète. 
    
   En sculptant le nom de Bâtard, sur la niche, il avait mis à jour un double fond, où reposaient depuis plus de cinquante ans les lingots d’or. Les chiens successifs du Papé, en montant la garde et en couchant dessus, avaient protégé le magot des regards des héritiers et des cambrioleurs. 
  
   Il n’avait rien changé à sa cachette, l’or était toujours dans la niche avec le chien dormant dessus chaque nuit. Maintenant devenu riche, le cœur chamadant, il irait faire sa cour à la belle Annie, elle lui faisait les yeux doux et monter le rouge aux joues. 
   
   Chaque fois qu’il passait devant sa maison, elle avait une petite douceur pour Bâtard, si elle aimait l’animal, elle aimerait l’homme. C’était un bon présage pour un mariage heureux et à l’abri du besoin. 







        Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"