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lundi 20 décembre 2021

 

LE VOILE DE LA MARIÉE



     Protégée des regards sous un drap de lin blanc, une ravissante robe de mariée en organdi, trônait au milieu de la chambre, n'attendant plus que la future épousée. Elle habillait un mannequin de couturière aux mensurations de la fiancée, restituant à l'identique la silhouette de la promise.

  À l’intérieur d'un garde-habits Louis Philippe, pendait sur une tringle le costume du marié, une paire de gants et un chapeau posés sur l'étagère en parachevaient la tenue.

Les placards de l'arrière-cuisine étaient remplis de vaisselle de porcelaine, de piles de nappes et serviettes brodées, et, protégée dans des écrins, l'argenterie.

Des corbeilles d'osier garnies de pétales de fleurs séchées, et de dragées empaquetées dans de petits sachets de cellophane, fermés par un lien doré, attendaient la distribution aux convives par les enfants d'honneur.

Les menus joliment décorés avec les initiales entrelacées des fiancés, prêts à être déposés devant les noms des invités, énuméraient les nombreux mets et vins du repas. Le programme des festivités relatant le déroulement de la soirée, annonçait une promenade en barque sur l'étang, clôturée par un feu d’artifice se reflétant dans l'eau.

Un chandelier à deux branches aux bougies allumées, diffusait une lumière jaune éclairant un cadre en bronze doré, posé sur un petit guéridon. La photo des amoureux heureux et souriants, occupait la place au centre de la petite table, avec deux coupes de cristal et une bouteille de champagne.

Un homme revêtu de son costume de marié devenu un peu étroit, cigarette aux lèvres, perdu dans ses pensées, tenait dans ses mains un petit coffret de mariage décoré de cœurs polychromes.

Après de longues minutes, il ouvrit la boîte d'où il sortit précautionneusement le voile de la mariée, jauni et déchiré et les anneaux d'or jamais portés. À son annulaire gauche, il glissa son alliance avec difficulté sur son doigt déformé par l'arthrose.


 Ce fut un jour maudit, à marquer d'une pierre noire, ce jour où le jardinier avait découvert dans le lac le tulle de mariage flottant entre deux eaux. Jamais l'étang n'avait rendu le corps de sa bien-aimée, l'unique amour de sa vie, et le commencement d'une longue vie solitaire.

Pas de mariage, pas d’enterrement, pas d'explications, accident, suicide, meurtre, le mystère resta entier. Le chagrin et le doute de toute une vie, jamais atténués malgré les années passées.

Ce soir, à la date d'anniversaire du mariage manqué, l'homme ouvrit la bouteille de champagne, et porta un toast face au mannequin. D'une voix tremblante et dans un murmure il leva son verre et dit: « À nos amours » ma chérie.

Et là, le miracle s'accomplit, le spectre de la jeune fille toujours jeune et belle lui apparut. Parée de sa robe de mousseline blanche, elle flottait dans la pièce enveloppée d'un rayon de lumière. Elle lui prit le bras et ils ouvrirent le bal avec la première danse des mariés.

Comme tous les ans elle lui revenait, et lui donnait la force de continuer à vivre pour ce rendez-vous d'amour. Le moment venu, son corps vieillissant et usé ne pouvant plus danser, irait la rejoindre dans les profondeurs troubles de l'étang, vêtu de son costume de mariage, emportant avec lui les alliances et la robe. Enfin réunis, ils danseraient leur dernière danse, une valse.






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