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mardi 6 mars 2018









                                                                       LA CHAMBRE NUPTİALE

    






       La voiture de fonction du futur ministre de la justice se gara devant le perron du manoir, il en sortit en coup de vent sans attendre que son chauffeur ne lui ouvre la porte.
  

     Son porte-document sous le bras, il monta quatre à quatre les escaliers en appelant sa femme Éva, pour lui annoncer la bonne nouvelle.
    Éva sortit rapidement de la chambre de sa belle-mère avec le lot d échantillons de tissus sous le bras. À l'air joyeux de son mari, elle comprit qu'il avait eu le poste qu'il convoitait et elle se jeta dans les bras du nouveau garde des sceaux, laissant tomber les rouleaux de toile. Cela faisait bientôt un an qu'Éva et Richard étaient mariés, ils se connaissaient depuis l'enfance et avaient fait un mariage d'amour.
    

    Richard était fils unique, son père était mort dans un accident de voiture en 1942, avant sa naissance, sa mère l'avait élevé seule et ne s'était jamais remariée. Depuis l’adolescence il était passionné par la politique et voulait en faire son métier. C'était un homme juste, intègre, épris de justice qui allait mettre toute son énergie et sa volonté au  service de sa tâche. Éva savait qu'il ne faillirait pas à son devoir et qu'il ferait un très bon mandataire au service de son pays.

     Depuis la mort de sa belle-mère, Éva était devenue la maîtresse de maison et dirigeait la bâtisse familiale avec brio, elle avait décidé de transformer la chambre de la défunte, en chambre nuptiale. En la rendant moderne et fonctionnelle elle voulait faire une surprise à son mari pour leur noce de coton. Cette chambre inoccupée depuis la mort de la vieille dame était spacieuse, deux grandes fenêtres laissaient entrer les rayons du soleil et du balcon la vue imprenable des arbres centenaires du parc finissaient de la rendre exceptionnelle. Un pan de mur était recouvert de miroirs, cette petite galerie des glaces, donnait de la profondeur et de la luminosité à la pièce.
    Après le départ de son mari, elle commença le grand nettoyage de la chambre. Les murs étaient tapissés de toile de Jouy rose, elle confectionna des doubles rideaux assortis avec du tissu retrouvé dans l'armoire de la lingerie. Pendant une semaine, elle l’aménagea avec soin et y mit sa touche personnelle. La grande façade des miroirs lui donna plus de travail, les vieilles glaces Vénitienne au mercure étaient graisseuses et collantes, mais retrouvèrent vite leur splendeur d'antan. Le soleil à son zénith les inondait de ses rayons et les faisait scintiller comme des diamants. La seule verrue de cette pièce était cette imposante armoire régence posée là, devant les miroirs.
      Elle remisa toutes les affaires de sa belle-mère dans une autre chambre inoccupée. Dans le scriban machinalement elle chercha les petits tiroirs secrets dont tous les secrétaires sont pourvus. Elle les trouva rapidement en actionnant d'une poussée un ressort discrètement dissimilé dans une petite moulure. Un paquet de photos en noir et blanc entouré d'un ruban de satin rose apparut du secret. Elle regarda les photos une à une avec une curiosité et une excitation non retenue. Une jeune fille souriante en robe blanche, les cheveux détachés posait dans le jardin, un bouquet de fleurs dans les bras.
     Elle n’eut aucun mal à reconnaître en cette belle jeune fille sa belle-mère. Les photos du manoir devinrent plus angoissantes, des véhicules de l'armée Allemande stationnaient dans le parc, avec au premier plan des soldats au garde-à-vous devant des officiers Allemands. Plusieurs photos représentaient un jeune homme en uniforme au regard mélancolique se tenant sur les marches du perron. Son attention fut attirée par une photo de la chambre, où un bébé assis à terre jouait devant une porte entrouverte, inconnue.
     Son regard parcourut la pièce et s’arrêta devant la grosse armoire Régence. Éva la poussa de toutes ses forces en la faisant glisser sur le paquet jusqu'au mur opposé. Débarrassé de son imposant meuble, les rayons du soleil laissèrent apparaître des lignes biseautés dessinant un encadrement de porte, à peine visible à l’œil nu et disparaissant une fois le soleil caché.
       Éva poussa la porte de glace qui coulissa facilement, mettant à jour une antichambre, elle chercha l’interrupteur et la lumière jaillit, la laissant les jambes flageolantes et le souffle coupé. Sur le lit, le reste d'un squelette gisait là, les os étaient alignés sans désordre, sur un couvre-lit en loque. Encore accroché aux doigts, un médaillon en or à demi ouvert, avec la photo des deux jeunes gens souriant. Sur la commode, l'uniforme poussiéreux du soldat allemand était soigneusement plié laissant apercevoir une trace de balle sur la poitrine.
      Posé sur la table de chevet, un petit livre ancien avec une reliure en maroquin rouge où l'on devinait sous la poussière le titre incrusté en lettres d'or .
« Caro Diario ».


   C'était les confidences d'une femme meurtrie, blessée, sa belle -mère. Elle parlait de sa passion, de son impossible amour avec le père de son fils, l'ennemi de son pays, l'homme à abattre.

   Au premier regard ils étaient tombés éperdument amoureux. Veuve depuis un mois, après un mariage arrangé par sa famille, elle n'avait pu résister à ce bel officier et aux sentiments qu'ils avaient l'un pour l'autre. Leur passion, ils l'avaient cachée dans cette petite antichambre et leur enfant y était né huit mois plus tard. Pendant le reste de la guerre elle ne vécu que pour son petit garçon, puis à la libération, le destin les rattrapa et s'acharna sur eux. L’officier blessé par les partisans se réfugia chez elle pour mourir dans ses bras.

     Elle ne pouvait demander d'aide à personne, ni lui donner une sépulture décente alors, elle le laissa reposer dans l'antichambre et en mura la porte avec la grosse armoire. Jusqu'à sa mort elle vécut avec lui dormant chaque nuit dans la pièce voisine.

    Éva, mit les photos, le médaillon et le livre rouge dans une boite métallique, les ossements du soldat et son uniforme dans le reste du couvre-lit et se rendit à la chapelle du manoir. Elle descendit les escaliers en pierre du tombeau familial et sans peur dévissa le cercueil de sa belle-mère. Avec respect et tendresse elle y déposa la boite métallique, le couvre-lit contenant des reliques du soldat et calmement revissa le couvercle. Un tel amour partagé, méritait bien que le couple soit enfin réuni, pour son repos éternel.

     Au retour de son mari, elle lui montra fièrement la chambre nuptial, il fut surprit de la découverte de l'antichambre et fou de joie à la vue qu'elle était devenue une petite chambre d'enfant.

    Comme sa belle-mère, Éva, non plus ne pouvait rien dire, « avoir un cadavre dans un placard » est un secret de famille qu'il ne fallait pas déterrer et son mari ce devait d'être irréprochable.


 



Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
 http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk



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